C’est en passant sous le poirier que ça m’a frappé. Pas parce que c’est dangereux de passer sous le poirier ces jours-ci puisqu’il y a une belle proportion de risques de se prendre un fruit trop mûr sur le crâne. Plutôt parce que soudain, je les ai entendus. Les enfants puis les petits-enfants de Monsieur et Madame L., nos prédécesseurs. Propriétaires des lieux et de son âme durant plus de 60 ans. Soudain, là, sous le poirier ils étaient à mes côtés. Les enfants qui ont vécu ici avant les nôtres.
De saison en saison, le Homard et moi nous interrogeons régulièrement. Pourquoi autant de groseilles au fond du jardin ? Pourquoi ce châtaigner déguisé en cerisier près de la terrasse ? Et pourquoi un poirier ? Souvent, le Homard trouve là prétexte à quelques blagues quand les amis passent. On plaisante alors sur ces prédécesseurs dont la logique nous échappe, en oubliant que la nôtre perdra tout autant la raison pour la génération suivante.
Et puis finalement, au bout de 2 ans, je les ai entendus. Le portillon qui s’ouvre, la nuée de courtes jambes sur la pelouse. Le plus hardi qui prend déjà le tronc penché pour une rampe. De là, il peut atteindre le toit de la cabane. Papi lui criera certainement dessus à le voir perché sur si frêle monture mais il aura juste le temps de narguer ses frères restés en bas. Peut-être étaient-ils chargés de cueillir ou ramasser ? Peut-être étaient-ils si nombreux qu’il a fallu leur attribuer chacun un arbuste entier ? Je peux presque les voir retrousser leurs chemises pour en faire des paniers improvisés.
Plus tard, ils finissent par s’engouffrer dans le couloir, comme une longue ribambelle de cris ; ça sent le chaud à l’intérieur, c’est réconfortant. Mamie est dans la cuisine et c’est là que se détend le nœud du mystère. Parce que sur la table en faux bois plastifiée, exactement là où les Poites ont fabriqué hier ces chaussons aux poires indignes d’Instagram et pourtant assez parfaits s’étaleront dans quelques heures tartes, confitures, gelées, fondants et hypothétiques crumbles. Et soudain, tout dans ce jardin prend un sens. Parce qu’il y a eu ici des parents puis des grands-parents chez qui venir grimper en haut du poirier.
Ils sont là, je les entends désormais.
Bonsoir,
Un bref propos liminaire pour te dire qu’entendre causer arbres fuitiers sous ta plume me réjouit particulièrement.
Ensuite, sache que je t’envie de les entendre (tes prédécesseurs). Car si les miens (de prédécesseurs) sont particulièrement bruyants, c’est pour hurler dans mes oreilles leur âme noire comme de l’encre.
J’ai donc aussi mon lot de questions (tu me pardonneras de te paraphraser) :
Pourquoi autant de thuyas au fond du jardin ? Pourquoi ce thuya déguisé en thuya près de la terrasse ? Et pourquoi un thuya ?
Tu m’accorderas que c’est un rien moins charmant que ton récit lumineux… mais peu importe. Parce que grâce à toi, je sais désormais : je vais planter un poirier.
Bah, qu’est-ce que tu as contre les thuya ? 🙂
Dans la fabuleuse maison de ma petite enfance, il y avait une rangée de thuyas qui séparait le jardin de la route. Chaque année, l’un d’eux perdait sa cime qui faisait office d’arbre de Noël. Ce n’est que lorsque je fus collégienne, après un douloureux déménagement dans une maison moche avec un jardin ridiculement petit et où on ne pouvait même pas sortir en enjambant les fenêtres, que nous eûmes un vrai sapin (piètre consolation).
Ouais, piètre, je suis d’accord 🙂