Je traverse actuellement une crise sans importance à base de « comment est-ce que je pourrais les intéresser avec une vie aussi chiante ? ».
En conséquence de quoi, en attendant que l’envie de vous raconter en long, en large et pas tout à fait de travers ma passionnante existence ne me revienne, j’ai pris de l’oxygène en vous écrivant ceci.
Et c’est fou comme ça m’a fait du bien…
Elle enroula ses pieds le long de l’imposant rideau blanc. Si elle regardait vers le bas de la tour, elle était envahie d’un léger vertige, mêlé à de la stupeur. Alors, elle s’accrocha encore plus fort à ce tissu solide qui ne semblait pas avoir de fin.
Là-bas, en dessous de ses pieds accrochés à leur rocher blanc, il y avait le périphérique et ses vagues de couleur dessinées par les feux des voitures. A droite la vague rouge. A gauche la vague jaune.
Comme deux routes parallèles et inconciliables.
Elle rêvait de prendre n’importe quel ustensile et de briser la grande vitre cachée derrière le rideau blanc. 12 ans qu’elle habitait là, 12 années de fantasmes sur l’air qu’elle respirerait si la fenêtre s’ouvrait. Comment était-il l’air du 33ième étage, à la sortie Clignancourt du périphérique extérieur ?
Etait-il différent de celui du 11ième ? Lui-même différent de celui du rez-de-chaussée ? Ou bien plus riche, plus enivrant que celui du périphérique intérieur ?
Elle regarda autour d’elle, pleine d’une furie toute nouvelle.
Et si c’était aujourd’hui que s’ouvrait la fenêtre ?
Elle furetait du regard, passant au crible tout objet susceptible de lui rendre ce service. 12 années à effleurer un mystère qui prenaient fin maintenant, accrochées à un rideau blanc.
Elle repoussa mentalement les candidatures du pouf en cuir marron, trop moelleux, de la télécommande et ses piles, trop rebondissantes, de l’encyclopédie en 3 volumes, trop lourde.
Elle fixa son choix sur l’écran de l’ordinateur, épais et solide, posé sur le buffet en acajou. Elle le soupesa une première fois et dodelina sa tête avec une petite moue d’acquiescement.
Poids parfait, prise en main idéale. Choix validé.
L’envoyer valser contre la fenêtre fut un jeu d’enfant. Le fracas succèda au silence. Les petits éclats se mélangèrent aux gigantesques et tout ne fût plus que verre brisé.
Avant d’être étouffée de ciel et de vent, elle trouva le cratère plutôt seyant, joliment abîmé dans ses contours.
L’air s’engouffra dans ses poumons, lui égratignant les lèvres, le cou et ses mains blêmes qu’elle porta à sa gorge dans la surprise. Sur son passage, il renversa la lampe bleue turquoise du salon.
Les rideaux s’envolèrent, l’enveloppant dans leur nuage cotonneux. Le vent ne cessait de s’imposer dans le trou béant de la vitre brisée, jusqu’à écraser son souffle, jusqu’à sacrifier ses propres mouvements, plaquée qu’elle était contre un bout du mur de verre fracassé.
En s’aidant d’un pan du rideau blanc, elle réussi à faire face au vide. Son regard descendit machinalement vers le périphérique. Toujours les deux mêmes vagues de ceux qui rentrent chez eux, parallèles et conformes.
Le rideau blanc était tout autour d’elle comme une barrière capable de la retenir du souffle de la tempête.
Elle prit une profonde respiration qui lui fit mal jusque dans le ventre. Jamais elle n’avait eu aussi froid dans les poumons, jamais elle n’avait encore tremblé de l’intérieur.
Et elle hurla ces 12 années de fenêtre fermée. Elle hurla l’enfermement, elle hurla le périphérique, elle hurla la vague jaune, la vague rouge et ses couleurs qui ne se mélangent pas, elle hurla la porte de Clignancourt et le périphérique extérieur.
Elle hurla jusqu’à ce que sa gorge ne saigne, jusqu’à ce qu’un filet de bave ne s’échappe de la prison de sa bouche. Elle hurla jusqu’à se sentir soulagée d’avoir mal.
Elle hurla et sur le périphérique, aucune voiture ne s’arrêta.